À quelques mois des élections européennes, un collectif d’organisations engagées dans les politiques de drogues — parmi lesquelles la Fédération Addiction, EuroNPUD, Correlation Network ou encore plusieurs réseaux européens d’usagers — a présenté un manifeste appelant à refonder l’approche de l’Union européenne en matière de drogues. Le texte, disponible en ligne via la Fédération Addiction (https://www.federationaddiction.fr/actualites/elections-europeennes-2024-un-manifeste-pour-une-politique-des-drogues-qui-rende-leurope-plus-sure-en-meilleure-sante-et-plus-juste/), invite les candidats à replacer la santé publique et la réduction des risques au centre des politiques européennes.
Une politique européenne encore trop marquée par la répression
Depuis plus d’une décennie, l’Union européenne reconnaît officiellement les outils de réduction des risques. Pourtant, cette reconnaissance reste largement théorique. Les budgets publics demeurent orientés vers la répression, tandis que les services de santé, les dispositifs d’accompagnement et les programmes de prévention peinent à suivre l’évolution rapide des usages.
Cette situation contraste avec les transformations profondes observées sur le continent. Le rapport européen sur les drogues 2024 de l’EUDA (https://www.euda.europa.eu/publications/european-drug-report/2024/drug-situation-in-europe-up-to-2024_fr) décrit une diversification notable des substances, une montée des drogues de synthèse, un usage accru de la cocaïne et une augmentation des overdoses liées à des polyconsommations. Les violences liées aux trafics, la visibilité accrue des scènes ouvertes ou encore l’essor du chemsex composent un paysage en mutation rapide, auquel les politiques principalement répressives répondent mal.
Les organisations signataires du manifeste soulignent que cette approche fragilise en premier lieu les personnes les plus vulnérables. La criminalisation accroît les risques sanitaires, limite l’accès aux soins et détourne des ressources financières significatives qui pourraient être réinvesties dans la prévention et l’accompagnement.
Mettre la santé publique au cœur de l’action européenne
Le manifeste formule plusieurs recommandations à destination du Parlement européen qui sera élu en juin 2024. Il appelle notamment à garantir l’accès à l’ensemble des outils de réduction des risques — salles de consommation à moindre risque, traitements de substitution, matériel stérile, dépistage accessible — dont l’efficacité est largement documentée par les organismes internationaux.
Les organisations demandent également un effort de convergence juridique entre États membres. Aujourd’hui, les politiques nationales diffèrent fortement, au risque de créer des incohérences de santé publique. Le texte appelle donc à un soutien renforcé de l’Union européenne pour développer des lignes directrices communes, soutenir les innovations locales et financer les stratégies de prévention.
Enfin, les signataires insistent sur la nécessité d’associer les usagers à la conception des politiques publiques. Leur expertise est considérée comme un levier essentiel pour concevoir des dispositifs pertinents, adaptés aux réalités et fondés sur les besoins réels des personnes concernées.
Un enjeu politique majeur pour les élections européennes
Les prochaines élections européennes représentent un moment décisif. Face aux transformations rapides des usages et aux défis sanitaires croissants, les politiques de drogues ne peuvent plus se limiter à une logique répressive. Le manifeste rappelle qu’il s’agit avant tout d’un enjeu de santé publique, de droits humains et de cohésion sociale.
L’Union européenne dispose des moyens nécessaires pour accompagner un changement de paradigme : financement de programmes de prévention, coordination entre États membres, promotion de stratégies fondées sur les preuves et soutien aux innovations de réduction des risques. Reste à savoir si la future assemblée européenne saura convertir ces recommandations en orientations politiques concrètes.